Amitiés nomades

  Samedi 13 août 1921

Lorsque tout converge à retarder un événement tant attendu, une majorité s’accorde sur le fait que les dernières heures sont souvent les plus difficiles. Là où la patience n’est pas ma vertu première : Dois-je avouer que ma montre fut une fidèle compagne ?

S’il n’y avait eu mes lectures, quelques jeux de charades avec Julia et ses nouvelles amies qui, non contentes de troubler mes siestes, m’ont littéralement traîné jusqu’à ce que je nommerai « un bal populaire » en troisième classe afin de me faire goûter la musique du pays… Il est probable que j’aurais péri d’ennui ! Bien que je fusse alors en proie à la mélancolie, je leur suis reconnaissante de tous ces efforts. Les souvenirs n’en seront que plus marquants. Il va néanmoins sans dire que si une fée s’est penchée sur mon berceau, elle a sans doute omis de me donner le sens du rythme !

J’ai ainsi pu côtoyer de belles personnes, fort courageuses, ou détentrices de savoirs dont j’ignorais presque tout. En outre, beaucoup de légendes et de folklores ont bercé ces derniers jours par l’entremise d’une conteuse se prétendant globe-trotter.

Employée en qualité de gouvernante au sein d’une famille aisée, Ellen de son prénom, quitta son poste avec l’espoir de ramener moult histoires de tout horizon. À cette époque, son plus cher désir était de rallier le Caire pour voir les pyramides d’Egypte. Chance ou destin ? Tandis qu’elle économisait chaque dollar durement gagné, un article dans le Monday Chronicle évoquait une future expédition dans la vallée des rois sous la houlette d’un certain professeur O’Conelly. L’ambitieuse n’écouta que son courage, et sa détermination en fut récompensée lorsque l’égyptologue l’engagea comme assistante. Cantonnée aux tâches les plus monotones, le pari fut toutefois gagné. Tous deux revinrent à Boston courant juillet, où une exposition est justement prévue en septembre. Son enthousiasme fut suffisamment contagieux pour que rendez-vous soit pris.

Tous ces récits influencèrent mes pensées lors d’errances en solitaire. La musicalité hypnotique du roulis des vagues, et la profondeur des océans m’amenèrent à songer aux antiques civilisations disparues, à leurs légendaires cités désormais submergées et dont nul n’a encore percé les secrets. Je n’ose imaginer le monde qui est le nôtre aujourd’hui si l’Atlantide existait. Que dire encore du triangle des Bermudes ? Que penser de la disparition de tout l’équipage du Carroll A. Deering ?

 

 

L’Irlande du nord s’est enfin dévoilée à mes yeux lors d’une magnifique éclaircie ! La première chose qui retint mon attention fut le contraste saisissant entre la teinte pâle des plages, avec l’azur profond de la mer, et la verdoyance des côtes semblables à une sauvage et insaisissable ingénue parée d’émeraudes.

Le voyage s’est donc achevé sans accroc, si ce n’est ce relent incommodant que j’étais seule à percevoir semble-t-il. M. Bibendum, comme le surnommait Julia, ne fit plus que de très brèves apparitions pour vite disparaître dans la foule lors du débarquement.

Quitter mes nouvelles amies ne fut hélas pas une mince affaire ! Je décidai donc de prolonger mon séjour à Belfast. Ma logeuse ne fit pas d’histoire, trop ravie d’avoir « une journaliste américaine » comme résidente.

Nul doute que cela arrangeait ses finances dans une ville où misère, colère et tristesse suintent tant des visages, que des murs lépreux.

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