Réminiscences

Mardi 16 août 1921

Dès les premières lueurs du jour, les cauchemars aux images confuses laissèrent leur empreinte fugace en la manifestation d’une légère migraine. Tirée du lit, et après quelques ablutions, je décidai de mettre à profit les quelques heures restantes avant les retrouvailles en ville pour mettre de l’ordre dans ce qui s’annonçait comme le début d’une curieuse enquête. Bien entendu, sans omettre la gargantuesque collation que fut le petit déjeuner tant j’étais affamée !

La pièce qui recueille mon repos ainsi que mes pensées est tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Un lit à la sombre armature métallique soulignée par le doré de quelques fioritures. Un matelas qui n’est certes pas de première jeunesse, et dont la teinte pâle de la courtepointe est rehaussée par les liserés de roses sur un fond vert d’eau ornant un papier peint jauni par endroit. Un petit secrétaire, une commode, et un tapis crocheté achèvent le décor somme toute confortable du lieu.

Ma logeuse m’a donné sa meilleure chambre dit-elle, et je crois qu’elle m’apprécie autant que l’on puisse apprécier quelqu’un dont le pays a volé plusieurs de ses enfants en quête d’une meilleure destinée. Nous avons longuement devisé sur l’Amérique. Ce fut l’occasion de décrire ce qui m’y plaisait, et comment s’y déroulait le quotidien des gens simples .

Il fut plus hasardeux d’aborder les réels motifs de ma présence. Ma noble profession ne suffisait pas à tout expliquer. Je finis donc par avouer, entre deux tasses de thé, qu’il s’agissait d’une quête somme toute personnelle. Elle ne sembla pas surprise, arguant que peu oseraient braver les flots pour venir au pays, tandis que des générations le quittaient depuis la grande famine. Ainsi abreuvais-je sa curiosité en retraçant l’histoire d’une mère dont l’étrange disparition coïncidait avec l’internement de sa sœur aînée à l’asile d’Arkham. Toutes deux n’ayant qu’une année de différence.

Mon père peina à surmonter la torture que lui causait l’absence d’une épouse sublimée par le souvenir, dont il avait accepté les origines, le milieu plus modeste, ainsi que toutes les excentricités. De ces dernières, j’en apprendrai d’ailleurs très peu. C’est bien plus tard que, craignant son refus, je réclamais toutefois les effets de cette femme qui m’était pourtant inconnue. Aussitôt, ce fut comme signer un pacte sans nul besoin de justification. La promesse de ne pas disparaître à mon tour.

Il peina d’autant plus face à une police inefficace dont les discours sans empathie manquèrent de l’égarer vers la facilité : l’oubli et l’abêtissement procurés par l’alcool. La possibilité d’un amant au mal du pays revinrent comme une rengaine lassante. D’autre part, et en dépit de multiples visites à la morgue, aucun corps retrouvé ne s’avéra être celui de sa bien-aimée.

Confiante, j’allais jusqu’à évoquer l’ironie du sort à propos du village disparu. Survinrent alors d’évasives réponses qui ne m’aidèrent pas à rester sereine. Du fait que cela se pouvait, que cela arrivait sans que l’on en sache les véritables raisons. Elle me conseilla même de me concentrer sur mon travail plutôt que de courir après des fantômes, là où l’oubli des drames est souvent préférable au réveil de douloureux souvenirs. D’un geste ample, et pour appuyer son propos, embrassa-t-elle de multiples photographies posées sur la cheminée.

Quant à la mélodie entendue durant la nuit, cela ne devait être qu’un tour de mon esprit chahuté ! En effet, l’unique boite à musique présente dans toute la maisonnée n’était autre que celle trônant sur une étagère de la dernière chambre occupée par une octogénaire. Une boite à musique scellée, et qui n’aurait d’ailleurs jamais fonctionné faute d’en posséder la clef.

Je ne sus dire pourquoi, mais durant tout cet échange, ma logeuse me sembla particulièrement soucieuse comme une personne accoutumée à tenir ces discours. Rien ne saurait pourtant m’éloigner des objectifs fixés, ou ce voyage n’aurait alors aucune raison d’être.

Dix heures carillonnèrent à travers la ville tandis que la pluie tambourinait tant sur les toits que les pavés. Nous échangeâmes toutes nos adresses avec Ellen, promise à un merveilleux périple à travers l’Ecosse ; et le cœur serré, assistions au départ du navire qui l’amènerait vers des contrées plus mystérieuses encore.

Enfin, décidions-nous de retourner à la Linen Hall Library avant le déjeuner. Puis, si le temps le permettait, envisagerions-nous de faire un saut à l’hôtel de ville.

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